- Je me demande comment on peut travailler dans une usine parce que j'estime que dans une usine on est enfermé, vous êtes là toute la journée, avec les bruits de moteurs et tout ça …
- Vous avez vachement raison ! C'est dégueulasse. Je me demande comment on fait pour arriver à rester dans une usine, comme vous dites « enfermé ». On est contrôlé. Déjà, il y a cette espèce de division qui se créée entre les ouvriers … Et en plus de ça, il y a la maîtrise qui nous harcèle qui est toujours derrière nous … les contre-maîtres … C'est ça. C'est vraiment dégueulasse ! Vous avez raison, c'est très dur !
Seulement on a pas d'autre choix … »
Jean Rouch – Edgar Morin - Chronique d'un été (1960)
Puis il y eu mon burn-out nucléaire qui me value une nouvelle hospitalisation en février 2017.
Ainsi, à partir du 17 janvier 2020, l'Atypik exposait mes nouveaux dessins et toiles liés à cette expérience douloureuse, sous le titre :
J'ai eu tellement de périodes de solitudes et de doutes dans ma vie psychique, qu'il n'y a pas à dire, vous m'avez tous bien réchauffé l'âme, le soir du vernissage.
Merci à vous !
Si Judith n'avait pas toujours été là pour me soutenir (et m'engueuler parfois aussi) je ne pourrais pas écrire ces quelques lignes aujourd'hui.Pourquoi ? Parce que j'aurais, à coup sûr, réussi à appliquer ce cher principe l'éphémérité à ma propre existence. Merci à elle. D'autres n'ont pas eu ma chance, merci à eux, aussi.
Merci également à Mohamed Aouine pour son article le 8 octobre dans le Dauphiné Libéré.
" La plupart des jeunes rois auront la tête coupée. " Jean-Michel Basquiat
En 1991, je tentais de reprendre mes études à l'école des Beaux-Arts de Grenoble. J'ai eu la chance d'y rencontrer ce grand mec rigolo et dynamique. Je crois me rappeler qu'il suivait plus où moins les cours en 5ème année, alors que je tentais de valider un premier cycle que j'avais dû abandonner en 1985 pour cause d' hospitalisation. Je ne suivais que très peu les cours. J'étais plus occuper à peindre dans une des salles de l'école que j'avais assez sauvagement investie. Les autres élèves se plaignaient de ma présence et du raffut que je faisais. Je produisais, avec rage, quelques toiles.
Depuis, elles ont dû être détruites :
Parmi les rares personnes qui appréciaient mon travail, il y avait ce black costaud grand fan de peinture new-yorkaise avec qui j'aimais discuter peinture et écouter de la musique. Il était très enthousiaste vis à vis de mon travail. Un soir, il m'a donné 2 feuilles sur lesquelles, d'une écriture, belle mais raturée, était calligraphié le texte suivant :
« Un jour que je faisais le tour des salles de l’école des Beaux-arts de Grenoble, je fus saisi par le travail de Pierre-Louis, alias phase III. L'intéressant, dans cet espace est l'impression que tout fait partie de son œuvre. Je trouve une certaine rythmique du corps, une simplicité qui est traduite en « body language » par lui. Rappeur d’aujourd’hui, phase3 est un tagueur, un vrai. Son travail est de l’ordre de la performance. Il fait du direct, du live, de l’ordre du Straight Language. phase3 invite le spectateur à la danse, au mime dans l’espace, avec une certaine dose d’humour. L’humour qu’a l'ego triomphant, comme dans l’œuvre de Jean-Michel Basquiat. Dans son travail réside une certaine pureté, modestie. C’est peut-être là qu’est la force intérieure de son corps blanc ouvert ».
Excuser du peu, de la prétention du peu ! Ce soir là, pour le remercier, je l'invitai à boire un verre ou deux dans un bistro proche de l'école. Comme à l'époque, j'avais pu emprunter le caméscope de papa, il en subsiste cette vidéo :
Oui, la Plupart des jeunes Rois auront la Tête Coupée.
Peu de temps après, n'arrivant pas à me décrocher des psychiatres auxquels mes chers parents m'avaient confié, je suis retombé malade tandis que Pacôme, lui, montait à Paris.
La crainte d'être expulsé l'a contraint à peindre dans la rue, l'alcool aussi. Il est devenu SDF en 1998.
Exténué et dépossédé de son œuvre, il est mort le 16 octobre 2003, à 38 ans, en phase terminale d'un cancer généralisé. Sa côte flambait alors sur le marché de l'art.
Quand, plus tard, j'ai appris son décès, j'ai collé les 2 feuilles du texte qu'il m'avait donné sur des feuilles format raisin goudronnées puis je les ai massacrées.
Visible actuellement à l'exposition de l'ATYPIK? 10 place Edmond Arnaud à Grenoble
R.I.P. man !
Voici quelques unes des dernières œuvres de Pacôme :
« Il faut mettre la société au service de l'école et non pas l’école au service de la société » disait Bachelard. Pourtant, aujourd'hui, l’école nuit au développement personnel des enfants. Elle contribue, de plus en plus tôt, à une mise en phase avec un modèle unique, vise l’optimisation de la performance et laisse de moins en moins de place pour la réflexion, la différence, le sentiment et l'expression.
Juddu Krishnamurti
Formater les enfants pour en faire de bons conso-acteurs et appeler cela l’ « intégration sociale » est une escroquerie. Le moule scolaire interdit toute dérive idéologique autre que celle qui prône l’ultralibéralisme à tout crin et la consommation de masse.
L'Histoire, la Philosophie, les Arts ou la Littérature ne seront bientôt plus dispensés dans les écoles car ces matières peuvent éveiller la curiosité des plus jeunes et risqueraient, par la suite, d'en faire de vilains réfractaires.
La différence, cette source d'inspiration et de créativité, pourtant tellement vitale pour changer ce monde en pleine déliquescence, n'est plus admise.
Les restrictions imposées aux enfants font parfois penser que l'autisme serait une réponse presque reptilienne du tout petit face à l'agression sauvage dont il est victime. Avec son classique repli vers un monde personnel meilleur, l'autisme serait, alors, le premier refuge de la conscience naissante.
Accepter ou pas un monde qui place l'argent, le pouvoir et la violence comme les plus belles des valeurs est une option de vie que l'on devrait pouvoir mûrir librement. Ce choix est pourtant interdit et est même répréhensible. Les programmes de l'Education Nationale sont obligatoires jusqu'à l'âge de 16 ans . Ne pas y adhérer est un pari dangereux où le jeune adulte insoumis risque de se voir renvoyé sur le banc de touches de manière violente et rapide.
La loi et la justice protègent la société contre ceux qui ne se conforment pas aux règles imposées par les plus puissants. La sanction la plus courante demeure l'emprisonnement mais, de tout l’arsenal juridique, les soins psychiatriques sans consentement et plus particulièrement l’hospitalisation d’office (appelée aujourd’hui « soins psychiatriques sur décision d'un représentant de l'état ») sont les plus abjects. Sous prétexte d'une déviance, ils répondent, à l’avance, et souvent arbitrairement, à une éventuelle mise en danger du système par ceux qui pourtant le constitue et pourraient même le faire évoluer demain.
« Sur le fondement d'un certificat médical circonstancié émanant d'un psychiatre, le préfet prononce par arrêté l'admission en soins psychiatriques d'une personne dont les troubles mentaux nécessitent des soins, compromettent la sûreté des personnes ou portent gravement atteinte à l'ordre public », ainsi, sans qu’aucun reproche ne puisse lui être fait, hormis celui de ne pas penser « comme il faut », les psychiatres, souvent avec l’aide de la police, se chargent du sale boulot et de la « reconduite dans le droit chemin » et de faire ré adhérer le déviant au modèle. La psychiatrie est le bras séculier des lobbies et des politicards. Elle incarcère et reprogramme les plus rebelles d'entre nous sous prétexte, qu’un jour, ils pourraient être dangereux.
Quand le dispositif psychiatrique se referme, nous comprenons que nous venons de nous faire prendre et que notre vie sera différente de celle que nous projetions.
Notre destin sera bouleversé.
Plus nous nous agiterons, plus nous protesterons, plus nous tenterons de nous justifier, plus violente sera notre souffrance. De la contention aux neuroleptiques, l’arsenal barbare de la psychiatrie est vaste et puissant.
Les plus rétifs, mutilés par l'ablation d'un bout du cerveau, seront définitivement transformés en de dociles légumes. Malgré toutes les croyances, la lobotomie est toujours pratiquée. La recommandation 1235 de 1994, relative à la psychiatrie et aux droits de l’homme (Assemblée parlementaire du conseil de l’Europe) l'évoque et stipule d'ailleurs qu’elle, et la thérapie par électrochocs, peuvent être pratiquées « si le consentement éclairé a été donné par écrit par le patient lui-même ou par une personne choisie par le patient pour le représenter, un conseiller ou un curateur et si la décision a été confirmée par un comité restreint non composé uniquement d'experts psychiatriques ».
Il faut quelques fractions de secondes, et un verre d’eau, ou le temps d'une injection, pour commencer un traitement par neuroleptiques mais, après, il sera pratiquement impossible de l'arrêter.
La rechute inévitable qu’entraînerait l'arrêt du traitement est l'une des nombreuses épées de Damoclès brandies par le personnel des hôpitaux psychiatriques. L'est aussi celui de l'instauration d’un état de pathologie chronique. Ainsi effrayé, le patient ne pourra qu'adhérer au programme de soins. Comme révélée, il y déjà longtemps, par Henri LABORIT ou Stanley MILGRAM, parler de « neuro-plasticité provoquée » pour créer la soumission n’est pas aberrant.
La perte de confiance en soi provoquée par l'autoritarisme abusif des personnels de santé trouve ses fondements dans la peur, la menace et l’infantilisation avec tout un contingent de phrases et de gestes qui seraient presque anodins dans un autre contexte.
La chambre d'isolement est une brimade courante.
La contention fait qu'à cause du manque de personnel, le patient peut se retrouver sanglé sur un lit pendant plusieurs semaines. On lui mettra une couche culotte et on lui injectera un produit anticoagulant chaque jour.
La description d'un futur, de toute façon pourri, peut aussi conduire certains patients au suicide. Les psychiatres, bien sûr, diront, alors, que c'est à cause de la dépression liée à la maladie.
Le lien social n'existe plus. Les rapports sont de plus en plus superficiels et les contraintes de plus en plus fortes. C'est bien pire dans les institutions. Il y a tellement de misère humaine et de maltraitance dans les hôpitaux psychiatriques que peu arriveront a y supporter un séjour. Le dictât des autorités est tellement illégitime qu'il ne peut être qu'abusif.
Soit tu adhères à cette société, soit, comme tu ne peux la quitter, la psychiatrie t’en éliminera, sans aucune concession ni le moindre regret ».
Le sentiment de révolte personnelle face au système peut conduire à se retrouver seul contre tous. Il engendre la partie punk du ZenPunk. Cette "distorsion mentale" et la mise en danger permanente qui en découle, sont pourtant les fondements de toute démarche artistique. Le prétexte de la création artistique reste un refuge pour éviter les représailles de la part d'une société définitivement agressive et malade. Les limites entre Art et folie sont ténues, parfois à peine perceptibles, mais toujours violentes.
Le mardi 20 septembre 2016, presque tous ceux que je connais et qui ont encore un questionnement sur nos fondamentaux étaient présents à l'expo.
Pedro et Manu ont assuré la partie musicale de l'exposition.